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Réinventer le bureau pour le plaisir d'y venir

octobre 2025 - 2 minutes de lecture

Comment transformer le bureau pour qu’il devienne le moteur du collectif et de la création à l’ère de l’hybride ? 

Face à cette question, Samuel Durand, conférencier, documentariste et explorateur du futur du travail, et de Christine Harné, Directrice exécutive des ressources humaines chez Gecina, s’accordent sur l’essentiel : le bureau n’a de sens que s’il crée du lien. Interview croisée.

Le bureau est-il encore utile dans un monde où l’on peut télétravailler ?

Samuel Durand – Oui, mais pas un bureau ancienne génération. Les études ne montrent pas qu’on a perdu de productivité en télétravail. L’enjeu est ailleurs. On a besoin d’un bureau pour se rencontrer, partager des idées et créer ensemble. S’y enfermer pour simplement participer à des visioconférences n’apporte rien. 

 

Christine Harné – Je partage ce constat. Chez Gecina, nous voyons le bureau comme un lieu de cohésion. Nous avons fait le choix de l’équilibre avec un accord de 5 jours de télétravail mensuels. Ce qui est intéressant, c’est que nos 450 collaborateurs n’utilisent pas le maximum autorisé, mais entre 3,5 et 3,8 jours par mois. On croit beaucoup au pouvoir d’être ensemble, mais on ne l’impose pas. 

Comment transformer le bureau en lieu attractif ?

Christine Harné – Nous avons pensé nos espaces de travail comme des "villages" flexibles : open space, zones de collaboration en petit groupe, bulles de confidentialité, espaces de convivialité, salles connectées avec tableaux interactifs, café, terrasses végétalisées… On peut tous trouver l’endroit le plus approprié à chaque moment de la journée. Il convient aussi d’être bien équipé : smartphone, ordinateur portable, écran incurvé… Il faut que l’équipement proposé permette aux collaborateurs de travailler dans de meilleures conditions qu’à la maison. Par exemple, un espace de travail ergonomique et des outils collaboratifs performants favorisent la productivité et l’échange entre collègues. Quand on demande aux personnes de venir, il faut que cela en vaille la peine.

 

Samuel Durand – La conception d’espaces adaptés aux usages réels du travail est clé. Ce qui fonctionne, c’est quand l’entreprise rend le bureau désirable, quand elle crée un environnement tellement qualitatif que les collaborateurs ont naturellement envie de venir. Des entreprises ont réussi, par exemple, Proginov à Nantes ou Mentimeter en Suède. Leurs métiers sont totalement télétravaillables. Pourtant, elles ont décidé d’adopter le 100 % bureau avec une culture forte de présentiel assumée. Et ça marche ! Ici, les gens sont heureux de venir au bureau tous les jours, à tel point que le turnover ne dépasse pas 2 %, contre 30 % dans le secteur.

 

Christine Harné - Notre localisation au cœur de Paris aide aussi. Dans la capitale, nos collaborateurs n’ont pas forcément de grands appartements et sont contents de venir au bureau pour bénéficier de plateaux spacieux et partager avec leurs collègues. Les restaurants et les bars sont nombreux autour, et il n’est pas rare qu’ils se retrouvent après le travail.

En dehors du lieu, qu’est-ce qui fait la différence au quotidien ?

Christine Harné – Plein de petites attentions pour soigner l’expérience de nos collaborateurs - corbeilles de fruits, thé et café gratuits, possibilité de partager un encas au You First café ou de déjeuner à l’extérieur sur les terrasses – et des événements réguliers font toute la différence :  des afterworks, des conférences inspirantes, des journées de sensibilisation sur la santé, le handicap ou le développement durable. On a aussi chaque année un vendredi solidaire, où les collaborateurs peuvent aider les associations partenaires de notre fondation d’entreprise. Nous organisons également chaque année un Canopé Solution Day, dont l’objectif est d’encourager la cocréation d’idées pour réduire l’empreinte énergétique de nos bâtiments. Autre atout : l’accueil des nouvelles recrues, , avec un parcours d’e-learning avant même leur arrivée, un Welcome Day, un séminaire d’intégration dans les 3 premiers mois. Ce dispositif permet aux nouvelles recrues de se sentir rapidement intégrées, de créer des liens avec leurs collègues et de mieux comprendre la culture de l’entreprise dès les premiers jours. Chaque nouveau collaborateur rencontre les membres du comité exécutif, favorisant une meilleure compréhension des enjeux stratégiques. Ce parcours donne aux nouveaux arrivants les clés pour accélérer leur prise de poste, ainsi qu’un sentiment d’appartenance renforcé dès le début de leur expérience.

 

Samuel Durand – L’objectif est en effet de développer l’esprit d’équipe et la cohésion dès le départ. Il faut créer des raisons de venir, des moments de rencontre, des parenthèses dans la journée, pas seulement des conversations à la machine à café. C’est important pour que les collaborateurs, qui ont connu le télétravail durant la crise sanitaire, acceptent de subir les désagréments et les temps de transports. En région parisienne, c’est 68 minutes. Pour 15 % des actifs, c’est même 90 minutes. La clé ? Donner l’envie, apporter des services facilitant le quotidien au bureau et ne pas imposer des contraintes d’horaires fixes aux heures de pointe.

 

Christine Harné – Nos collaborateurs ont d’ailleurs la latitude d’arriver sur site entre 8h et 10h et de partir entre 16h30 et 19h. Les cadres ont une totale liberté d’organisation de leur journée en lien avec les contraintes de la mission. En plus, lors d’événements exceptionnels (fortes intempéries, grèves…), des jours de télétravail supplémentaires peuvent être accordés. 

Quel est le rôle des managers dans la réussite du modèle hybride ?

Samuel Durand  – Les managers doivent être présents, disponibles, capables d’incarner la culture de l’entreprise, de créer des temps de rencontre naturels et de saisir l’occasion d’une discussion improvisée… Ce sont des animateurs du collectif. A quoi bon venir au bureau, si les managers sont en réunion toute la journée ? Le bureau, c’est pour ça : des conversations importantes les yeux dans les yeux, des moments de tissage de liens, d’apprentissages, de montée en compétences et d’innovation. Les managers doivent donc être formés à l’écoute et à l’agilité.

 

Christine Harné - C’est central, nous leur apportons justement ces fondamentaux. Cette année, nos 40 top managers ont suivi un programme de leadership et réalisé un 360°, c’est-à-dire qu’ils ont été évalués par leur entourage professionnel pour s’améliorer sur la transparence, le feedback, la gestion des situations complexes et la fluidité dans la communication notamment. L’objectif, c’est aussi de savoir gérer l’intelligence émotionnelle dans le groupe et de détecter des signaux faibles, pour prévenir les risques psychosociaux.

Quel est pour vous l’avenir des bureaux ?

Samuel Durand – Le véritable enjeu n’est pas de choisir entre distanciel et présentiel, mais de trouver la recette d’un travail hybride réussi et de fournir les bons ingrédients. L’avenir sera aux bureaux qui donnent envie d’y venir naturellement, parce qu’on y vit des moments collectifs de qualité impossible à reproduire ailleurs. A côté du télétravail, le bureau en présentiel a un rôle à jouer. Il doit devenir un lieu de relations pour ne pas perdre ses talents. Les entreprises qui clarifient les raisons d’être présent sur site, qui apportent des services pratiques, qui respectent les équilibres de vie et qui créent une expérience de travail riche, collaborative et flexible attirent et fidélisent.

 

Christine Harné – J’ajoute que pour le bureau de demain, nous – les RH - avons la responsabilité d’anticiper trois enjeux majeurs. J’ai déjà évoqué le renforcement des soft skills, comme la communication et l’adaptabilité, et la prévention des risques psychosociaux, pour que nos collaborateurs se sentent bien dans l’entreprise. Nous aurons aussi à intégrer l’intelligence artificielle dans nos pratiques. On ne sait pas encore exactement comment la traiter mais elle va transformer les métiers et les compétences. Nous avons la mission d’accompagner cette mutation, en tant que partenaire, coach et soutien au côté des équipes de Gecina.

Samuel Durand, explorateur du travail du futur

 

Samuel Durand est un expert reconnu et influent dans le domaine de la transformation du travail. Il se distingue comme un explorateur qui cherche à comprendre comment le monde professionnel évolue. Il s’intéresse aux thèmes émergents de la quête de sens, des nouveaux modes d’organisation et d’une économie du travail plus flexible et humaine

Sa quête a démarré en 2019, quand il effectue une Learning Expedition, pour aller au-devant des pionniers du travail. Il explore 13 pays, rencontre plus de 100 personnes, pour observer de près ce qui change dans le monde professionnel.

Aujourd’hui, Samuel a réalisé six documentaires (Work in Progress, Time to Work, AI at Work, Skills: Make it Work…) et est l’auteur des BD "Et si on travaillait autrement ?" et "Mais pourquoi j’irais travailler ?". L’objectif ? Sensibiliser un large public, y compris les plus jeunes. Il s’exprime régulièrement dans des médias de référence (Harvard Business Review France, Welcome to the Jungle, Les Echos…), et partage ses analyses dans sa newsletter très suivie ("Le Billet du Futur").

Samuel intervient enfin régulièrement dans l’espace public, prenant la parole des dizaines de fois par an auprès d’entreprises (RATP, L’Oréal, Safran, Sanofi, Crédit Agricole…) ou lors de projections-débats pour des Directeurs des Ressources Humaines.

A voir, son documentaire « Pourquoi travaillons-nous ? ».